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Contributions universitaires

Recherche sur les délinquants sexuels

Le maintien en incarcération des délinquants sexuels : Pouvons-nous faire mieux ?1

Andrew M. Haag2
Counselling Psychology, University of Calgary

Le grand public s'inquiète énormément et à juste raison des délinquants sexuels (Brown, 1999; Banister et Pordham, 1994; Hogue, 1993). De plus, la question de la meilleure stratégie d'intervention à utiliser auprès de ces derniers suscite de vives réactions sur les plans politique et émotif. Toutefois, l'existence de vives réactions ne justifie pas de laisser pour compte les données empiriques sur une question.

Il est important, entre autres, de déterminer aussi exactement que possible le degré de dangerosité qu'un délinquant présente à un moment donné. Cela sous-entend qu'il faut faire tout particulièrement attention à l'exactitude prédictive des décisions prises au sujet des délinquants.

Cet article explore l'exactitude prédictive d'une des décisions les plus préjudiciables que l'on puisse prendre au Canada, celle du maintien en incarcération.

Contexte

Au Canada, le maintien en incarcération consiste en la décision délibérée de la Commission nationale des libérations conditionnelles (CNLC) de garder en détention un délinquant purgeant une peine de ressort fédéral (c.-à-d. une personne condamnée à une peine d'emprisonnement de deux ans ou plus) au-delà de la date de sa libération d'office normale (ministère de la Justice du Canada, 1992a et 1992b). Le délinquant atteint la date de sa libération d'office après avoir purgé les deux tiers de sa peine. La CNLC prend la décision de maintenir un délinquant en incarcération si elle croit que ce dernier risque de commettre une infraction sexuelle ou avec violence ou une infraction grave en matière de drogue avant l'expiration de la peine imposée par le tribunal. Au Canada, la date à laquelle la peine d'un délinquant se termine ou expire est aussi appelée la date d'expiration du mandat (DEM). Tous les délinquants sexuels purgeant une peine de ressort fédéral d'une durée déterminée peuvent éventuellement être maintenus en incarcération.

Pour décider de maintenir un délinquant en incarcération, en vertu de l'article 132 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, la CNLC doit tenir compte de tous les facteurs jugés importants pour déterminer la probabilité que le délinquant commettra une infraction grave, notamment les suivants : 1) des types de comportement sexuel ou avec violence persistant à l'égard d'enfants; 2) la gravité de l'infraction à l'origine de la peine; 3) des renseignements fiables semblant indiquer que le délinquant a de la difficulté à maîtriser ses impulsions sexuelles ou de violence; 4) le recours à une arme durant la perpétration de n'importe quelle infraction; 5) des menaces explicites de violence; 6) un comportement de brutalité manifesté durant la perpétration de n'importe quelle infraction; 7) un degré marqué d'indifférence; 8) des preuves médicales, psychiatriques ou psychologiques; 9) des renseignements fiables au sujet de la planification d'infractions; 10) l'existence de programmes de surveillance appropriés; 11) le nombre d'infractions sexuelles contre un enfant; 12) le comportement de nature sexuelle manifesté durant la perpétration de n'importe quelle infraction; 13) des renseignements fiables au sujet des préférences sexuelles du délinquant indiquant que ce dernier est susceptible de commettre une infraction sexuelle à l'endroit d'un enfant.

On peut ajouter à cette liste toute obligation juridique imposée à la CNLC de tenir compte de données actuarielles. Il faut toutefois espérer que celles-ci sont incluses dans les éventuels rapports psychiatriques et psychologiques présentés à la CNLC.

La question du maintien en incarcération a déjà fait l'objet de recherches. Johnson (2002) a notamment tenté de déterminer s'il existait dans le système de justice pénale un parti pris à l'encontre des délinquants sexuels. Il a constaté que ces derniers (1) obtenaient des formes de mise en liberté plus restrictives que les autres délinquants et (2) étaient libérés plus tard dans leur peine que les autres délinquants. Il est intéressant de noter que ces mêmes délinquants sexuels affichaient des taux de récidive inférieurs à ceux du groupe témoin.

Dans une autre étude, Grant (1996) a constaté que les délinquants maintenus en incarcération étaient plus susceptibles d'avoir commis une infraction sexuelle que ceux qui ne faisaient pas l'objet d'une décision de ce genre. Selon lui, cela signifie que les décisions de maintien en incarcération touchent de manière disproportionnée les délinquants sexuels.

La présente étude visait à explorer davantage le maintien en incarcération parmi les délinquants sexuels et plus précisément à examiner la validité prédictive du processus décisionnel de la CNLC à l'égard des délinquants sexuels.

Méthode
Participants

Les participants à cette étude étaient tous les délinquants sexuels incarcérés dans un établissement correctionnel fédéral au Canada, dont la DEM était en 1995. Une infraction sexuelle était définie comme une infraction satisfaisant à la définition d'une infraction sexuelle d'après la Statique-99 (Hanson et Thornton, 1999; Harris, Phenix, Hanson et Thornton, 2003). Autrement dit, l'étude a porté sur une cohorte de délinquants sexuels purgeant une peine de ressort fédéral partout au Canada. L'absence de biais de sélection semblerait accroître l'applicabilité des conclusions à tous les délinquants sexuels purgeant une peine de ressort fédéral au Canada.

Pouvaient éventuellement participer à ce projet 775 délinquants sexuels de sexe masculin ayant atteint la date d'expiration de leur mandat en 1995. Tous les participants étaient âgés d'au moins 18 ans. Quelques critères d'exclusion ont toutefois été utilisés. Ont notamment été exclus de l'étude, les délinquants qui : 1) ont été expulsés ou, d'après la documentation, ont quitté de plein gré le pays (26 participants); 2) sont morts avant la fin de la période de suivi (19 participants); 3) ont été réhabilités durant la période de suivi (15 participants); 4) ont obtenu gain de cause à l'appel de leur condamnation ou de la durée de leur peine (15 participants); 5) ne répondaient pas à la définition d'infraction sexuelle de la Statique-99 (26 participants) (Hanson et Thornton, 1999; Harris, Phenix, Hanson et Thornton, 2003).

Après exclusion de ces délinquants, il restait 674 délinquants sexuels dont la date d'expiration du mandat était en 1995.

Variables examinées

Dans cette étude, la variable indépendante examinée était la décision de la CNLC au sujet du maintien en incarcération des délinquants sexuels participants.

La variable dépendante était la récidive sexuelle, définie comme une condamnation pour infraction sexuelle au cours des sept années postérieures à la date d'expiration du mandat. Les données relatives à la récidive sexuelle ont été tirées des dossiers du Centre d'information de la police canadienne (CIPC) (c.-à-d. les vérifications du casier judiciaire, qui forment un registre national de toutes les condamnations de n'importe quel délinquant maintenues par les tribunaux et la Gendarmerie royale du Canada).

Résultats
Statistiques descriptives

L'âge moyen et la durée moyenne de la peine de tous les délinquants sexuels inclus dans cette cohorte sont présentés au Tableau 1. Dans l'ensemble, les participants étaient âgés en moyenne d'environ 41 ans à l'expiration du mandat et purgeaient une peine d'un peu plus de quatre ans.

Tableau 1

Âge moyen et durée moyenne de la peine 

Variable Moyenne Écart type



Âge à l'expiration du mandat 40,82 ans 11,47 ans
Durée de la peine 1 570 jours

(4,3 ans)
1 013 jours




En ce qui concerne la mise en liberté sous condition, environ un délinquant sur cinq (21,5 % ou 145 délinquants) a été maintenu en incarcération jusqu'à la date d'expiration du mandat. Environ deux délinquants sur cinq (40,7 % ou 274 délinquants) ont été mis en liberté à la date de libération d'office (c.-à-d. aux deux tiers de leur peine). Toutefois, la libération d'office de 15 délinquants (2,2 %) a été révoquée, de sorte que ces derniers n'ont ensuite été mis en liberté qu'à la date d'expiration du mandat. Environ un délinquant sur quatre (26,4 % ou 178 délinquants) a obtenu la semi-liberté, tandis que 55 (8,2 %) ont obtenu la libération conditionnelle totale. Sept délinquants ont volontairement renoncé à la mise en liberté à la date de leur libération d'office et ont été libérés à la date d'expiration du mandat.

Il convient de signaler que, pour ces chiffres, on a tenu compte du moment auquel un délinquant a entamé une période de liberté continue jusqu'à la date d'expiration du mandat. Autrement dit, si un délinquant a obtenu la liberté sous condition, mais que celle-ci a ensuite été révoquée pour quelque raison et qu'il a subséquemment été libéré sous condition, on considère, dans les statistiques ci-dessus, la seconde (ou dernière) mise en liberté sous condition comme le début de la période dans la collectivité avant l'expiration du mandat.

On a constaté une corrélation globale significative entre la récidive sexuelle et le maintien en incarcération . . .

Le taux global de récidive pour la cohorte de délinquants sexuels était de 14,4 %, c'est-à-dire que 97 délinquants ont été déclarés coupables d'une autre infraction sexuelle durant la période de suivi de sept ans après la date d'expiration du mandat.

On a constaté une corrélation globale significative entre la récidive sexuelle et le maintien en incarcération (r = 0,20, p < 0,01). De plus, l'analyse de la courbe ROC a révélé une relation prédictive modérée entre le maintien en incarcération et la récidive sexuelle (surface sous la courbe = 0,615, erreur type = 0,03, 95 % IC = 0,55 à 0,68). La relation entre les décisions de maintien en incarcération et la récidive sexuelle demeurait constante indépendamment de la prise en compte statistique de la période dans la collectivité avant l'expiration du mandat (r = 0,14, p < 0,01).

Le Tableau 2 permet de voir la corrélation entre le maintien en détention et la récidive sexuelle en fonction de la situation quant au traitement. Pour cet ensemble de données, le traitement désignait toute intervention notée dans les dossiers du SCC et ciblant explicitement le comportement sexuel déviant. La situation quant au traitement pouvait être une des trois catégories suivantes, soit que le délinquant avait : achevé le programme; refusé de participer au programme (exclu d'emblée du programme); commencé puis laissé le programme pour une raison quelconque (abandon du programme). Des analyses prédictives distinctes ont ensuite été effectuées sur le maintien en incarcération et la récidive en fonction de l'achèvement du programme. Ces données fournissent des preuves du fait que la capacité de la Commission nationale des libérations conditionnelles à maintenir judicieusement en incarcération les délinquants sexuels était statistiquement significative uniquement dans le cas des délinquants ayant achevé le programme. Ce degré de signification statistique n'a pas été observé dans le cas des abandons de programme ou des délinquants exclus d'emblée.

Tableau 2 

Corrélation entre le maintien en incarcération et la récidive sexuelle en fonction de la situation quant au traitement

Situation quant au traitement* n r p




Achevé 461 0,25 0,01
Exclu 171 0,08 0,32
Abandon 41 0,28 0,07




* À noter que l'auteur n'a pas pu déterminer la situation quant au traitement d'un des délinquants inclus parmi les participants.

On peut voir au Graphique 1 les détails d'une analyse de survie comparant les délinquants qui ont été maintenus en incarcération et ceux qui ne l'ont pas été. Une analyse de survie est un moyen graphique d'analyser le laps de temps écoulé jusqu'à la manifestation d'un événement. L'événement, en l'occurrence, était la récidive sexuelle. Le graphique permet de voir le pourcentage de délinquants dans les différents groupes (dans ce cas, maintenus en incarcération ou non maintenus en incarcération) qui ont récidivé au cours de différentes périodes. Les résultats révèlent que les délinquants maintenus en incarcération n'ont pas survécu aussi longtemps dans la collectivité avant de commettre une nouvelle infraction sexuelle que ceux qui n'ont pas été maintenus en incarcération.

Récidive sexuelle et maintien en incarcération :
Survie pendant sept ans

Graphique 1 - Récidive sexuelle et maintien en incarcération : Survie pendant sept ans

Analyse

Les résultats de cette étude donnent à penser que, dans l'ensemble, la CNLC semble maintenir assez judicieusement en incarcération des délinquants sexuels qui commettent ensuite d'autres crimes d'ordre sexuel. Cette constatation est en elle-même encourageante.

Toutefois, une analyse plus poussée a révélé que la capacité de la CNLC à maintenir judicieusement en incarcération des délinquants diminue au point de ne pas être significative dans le cas des délinquants qui soit ont abandonné leur programme, soit ne l'ont jamais commencé. Les données dont nous disposons ne permettent pas de déterminer la cause de cette baisse de l'exactitude prédictive dans le cas de ces autres groupes. Une analyse plus approfondie de ce phénomène constituerait, certes, un domaine de recherche utile.

On pourrait toutefois améliorer l'exactitude des décisions de maintien en incarcération de la CNLC en tenant davantage compte des mesures actuarielles dans la prise de ces décisions.

D'une manière générale, on peut affirmer que, malgré la signification statistique, les décisions de maintien en incarcération de la CNLC n'étaient guère meilleures que le simple hasard. Autrement dit, il y a encore place à amélioration. La capacité prédictive du processus décisionnel de la CNLC demeure bien inférieure à celle des mesures actuarielles comme la Statique-99 ou la Statique-2002 pour ce qui est de la récidive sexuelle (Hanson et Thornton, 1999; Hanson et Thornton, 2003). Vu les écrits soulignant la supériorité générale des méthodes actuarielles par rapport aux décisions cliniques, cette constatation n'a rien d'étonnant (Grove et Meehl, 1996). On pourrait toutefois améliorer l'exactitude des décisions de maintien en incarcération de la CNLC en tenant davantage compte des mesures actuarielles dans la prise de ces décisions.  


1 Manuscrit basé sur les constatations tirées de HAAG, A. M. Do psychological interventions impact on actuarial measures: An analysis of the predictive validity of the Static-99 and Static-2002 on a re-conviction measure of sexual recidivism, thèse de doctorat inédite, Calgary (Alberta), University of Calgary, 2005. Conseiller : Lee Handy.
2 Andrew M. Haag, a/s Service de psychologie de l'Établissement de Bowden, C.P. 6000, Innisfail (Alberta) T4G 1V1; courriel : haagam@csc- scc.gc.ca

Bibliographie

BANISTER, P. et PORDHAM, S. « Public perceptions of crime seriousness », Issues in Criminological & Legal Psychology, no 21, 1994, p. 4-10.

BROWN, S. « Public attitudes toward the treatment of sex offenders », Legal & Criminological Psychology, vol. 4, no 2, 1999, p. 239-252.

MINISTÈRE DE LA JUSTICE DU CANADA. Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, 1992a.

MINISTÈRE DE LA JUSTICE DU CANADA. Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, 1992b.

GRANT, B. A. Les délinquants dont le cas est renvoyé en vue d'un examen de maintien en incarcération (1989-1990 à 1993-1994) : analyse comparative. Ottawa, Service correctionnel du Canada, 1996.

GROVE, W. M. et MEEHL, P. E. « Comparative efficiency of informal (subjective, impressionistic) and formal (mechanical, algorithmic) prediction procedures: The clinical-statistical controversy », Psychology, Public Policy & Law, vol. 2, no 2, 1996, p. 293-323.

HANSON, R. et THORNTON, D. Statique-99 : une amélioration des évaluations actuarielles du risque chez les délinquants sexuels, Ottawa, Ministère du Solliciteur général du Canada, et Londres, Her Majesty's Prison Service, 1999.

HANSON, R. et THORNTON, D. Notes sur l'élaboration de la Statique-2002, Ottawa, Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2003.

HARRIS, A., PHENIX, A., HANSON, R. K. et THORNTON, D. Statique-99 : règles de codage révisées -2003, Ottawa, Direction générale des affaires correctionnelles, Solliciteur général du Canada, 2003.

HOGUE, T. E. « Attitudes towards prisoners and sexual offenders », Issues in Criminological & Legal Psychology, no 19, 1993, p. 27-32.

JOHNSON, S. L. « Les décisions de mise en liberté des délinquants sexuels sont-elles empreintes de préjugés? », Forum - Recherche sur l'actualité correctionnelle, vol. 14, no 1, 2002, p. 40-43.